« Bon, on joue ? » 48h au cœur de la Manufacture du Rock

Marion Campay a rejoint l’établissement à la rentrée de septembre 2023 comme directrice de l’école de musique et danse Morvan Sommets et Grands Lacs. Titulaire, notamment, d’un master en anthropologie de la danse, elle a posé son regard sur les 48 heures de la Manuf’, convoquant la méthodologie de l’anthropologie qui vise à étudier sous tous les angles une situation humaine. Avec son regard aiguisé, elle nous livre en quelques lignes une description fine, émouvante et vraie de cette manifestation qui fait la fierté de toutes les équipes de RESO Nièvre.

 

J’ai eu le plaisir d’être observatrice active ce week-end lors de la Manufacture du rock et mon parcours d’anthropologue-pédagogue fait que je ne peux pas m’empêcher de vous en faire un retour, à ma façon.

 

La Manufacture du Rock, c’est quoi ?
Des artistes professionnels rencontrent des élèves des écoles de musique du département tout entier. 93 élèves, c’est beaucoup! Un partenariat fort RESO58, CD58, Café Charbon, les EMD, le tout coordonné par Bruno Bigay qui connaît bien le sujet car c’est la 10ème et qu’il la construit et porté tout ce temps. J’en était là. Mais ce que j’ai observé ce week-end, c’est plus que ça.

L’équipe du Café Charbon : toute l’équipe s’est présentée et a accueilli les élèves comme on invite des amis à la maison. J’ai vu et entendu des membres de l’équipe demander à des ados « Est-ce que t’es bien, là ? Tu te sens bien ici ? Sinon dis-le moi, je suis là pour ça. » Ces mêmes ados dont la maman vient me dire qu’à la maison c’est compliqué parce qu’ils ne sont bien nulle part. Ils arrivent en baggy ou en « loose fit jeans », le casque sur les oreilles et donnent leur nom à voix basse à l’accueil. Et puis dans l’atelier, ils s’installent, sortent leur instrument de musique et travaillent toute une journée avec plein d’inconnus, des « vieux », « des gamins », il y a de tout. Mais ils disent « bon, on joue ?« .

Ces « vieux », je n’ai pas beaucoup discuté avec eux parce qu’ils sont venus en bande ! Ils sont venus avec les copains de l’école de musique ou les copains du conservatoire avec qui ils ont l’habitude de faire la Manuf’ ou parfois, ils ont entraîné les nouveaux arrivants qui sont eux aussi devenus des copains.

Enfin, les petits. Ils sont fatigués mais ils ont la pêche tout le week-end. Des petites piles électriques motivées, impressionnés pour certains et puis laissés par leurs parents qui reviendront les chercher après une grosse journée de travail. Une maman me dit « Je suis émue aujourd’hui. Raphaël Chassin est venu me voir pour me dire que mon p’tit gars avait trop assuré ! Et il l’a dit devant lui en plus ! Lui qui n’arrive même pas à retenir ses tables de multiplications ! Vous vous rendez compte ! Et le batteur, il a joué avec Johnny alors vous imaginez !« 

 

« Ça fait trois fois qu’on lui explique qu’on partait sur le 2 et pas sur le 1! »

Le samedi, je voulais tout voir mais il y avait cinq ateliers alors par où commencer ? Et puis en accueillant les élèves, je demande « quel atelier ? «  et certains répondent « Tous ! On est chez les soufflants ! ». Alors j’ai suivi les soufflants dans tous les ateliers, les uns après les autres. Chaque ateliers est géré par des enseignants différents, chaque atelier est dans une salle différente, chaque atelier travaille des œuvres différentes. Et en arrivant dans chacun d’eux, on se sent différent. Il y a ceux où les cerveaux fument parce que la structure rythmique du morceau est compliquée et « qu’on essaie de se caler depuis 40mn mais on galère! »… tout le monde est concentré. Il y a l’atelier où on entend tout le monde rire depuis le couloir parce l’un d’eux s’est trompé et que « ça fait trois fois qu’on lui explique qu’on partait sur le 2 et pas sur le 1! » Il y a « la cave » où il fait chaud, on se sert, « on ne tiendra peut-être pas tous alors on va faire vite ! »

 

Le dimanche, j’ai essayé de refaire le même parcours mais « les soufflants » étaient déjà partis au conservatoire et les portes étaient verrouillées derrière eux. Je suis donc retournée au Café Charbon voir les ateliers.

 

Au service de l’œuvre
J’ai pu assister au travail en finesse des enseignants sur la même longueur d’onde. Ils connaissent chaque élève. Pas parce qu’ils suivent leurs cours. Mais parce que très vite, en les voyant jouer, ils ont compris. A l’arrivée des soufflants, les pédagogues deviennent chefs d’orchestre, il ne sont plus uniquement dans le travail de l’élève, ils sont en plus dans la gestion globale de l’œuvre et tout le monde se met au service de l’œuvre. Et les artistes sont là. Et eux, cette œuvre, c’est la leur ! Ils voient leur création grandir avec tous ces élèves, ces pédagogues, et ils échangent… entre artistes. Ils sont tous artistes à ce moment-là.

 

Samedi, les artistes invités, l’ambiance du Café Charbon nous ont offert un cocon d’une richesse artistique, pédagogique et humaine sans limite. Nous avons partagé l’univers de Hugues Coltman dans la douceur et l’humour, chaque membre de l’équipe enrichissait le propos à sa façon, avec intelligence.

Le midi, un enseignant dit « il aura fallu que j’attende la 10ème Manuf pour découvrir le fenouil confit et la joue de bœuf pour la première fois de ma vie ! »

 

Dans un atelier, Hugues dit « on ne pourrait pas bazardiser tout ça à la fin? » et Nicolas envoie  « ok tout le monde, à la fin, faites du bruit, faites-moi peur ! »

 

Evidemment le concert du samedi soir était magique.

 

Evidemment celui du dimanche dingue !

 

On ne repart pas indemne d’une manufacture du rock. Merci Bruno.

 

Merci à tous pour ces grands moments d’humanité.

 

Marion Campay, avril 2025

 

Photos : © Bruno Bigay